LIGNE
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Solo pour voix de femme sur un texte et une musique électroacoustique
écrit, composé et interprété par Annabelle Playe

Mise en scène, scénographie et création lumières : Ludovic Longelin
Spatialisation et régie sons : Frédéric Fourny
Collaboration artistique et recherche : Evelyne Bachoc
Crédit photo : Christophe Didry

Ligne est paru chez Alna Editeur en 2011

"Uniquement deux images, deux présentations du corps au public.
La première est celle du corps extrait de la nuit, debout, en marche, en appel, en adresse à tout ce qui, en nous, convoque l‘innommé. C’est la femme accouchée de la terre offrant sa bouche à notre humanité.
La seconde est celle du corps quotidien, reconnu, reconnaissable, citadin, assis, en confidence, nous livrant le drame ordinaire.
Cependant, dans le final, ces deux images n’en formeront plus qu’une lorsque la femme reconnue retrouvera dans la matière de la nuit son corps premier. Le mot devient le chant de toutes, l’appel originel tandis que le corps unique féconde l’obscurité.
Resserrer au seul corps afin de percevoir au plus fin les chemins intimes de la parole."

Ludovic Longelin

"La scène des Trois Raisins accueille Annabelle Playe et son spectacle intitulé « Ligne » le temps de goûter à la magie de cette soprano « coupable » d’un texte intime et bouleversant.
Soprano, électroacousticienne, écrivain : Annabelle Playe est une artiste « arc-en-ciel ». Elle apprivoise les émotions les plus fragiles de l’arc éphémère de l’existence, elle en ressent l’impalpable contour et ravit à la nuance des couleurs de sa langue. Puisque l’auteur, le compositeur et l’interprète incarnent une seule et même personne, « Ligne » est un acte de création pur. La voix, la musique et le texte mêlent leurs essences pour ne former qu’un seul et unique corps palpitant."

Carole EON-GROSLIER - La Montagne / Clermont-Métropole - Février 2012

Dates

Création décembre 2009 - Théâtre Les Pipots - (62)

Extraits

LE PROLOGUE

Je sors d’une terre, d’une étreinte démente, minérale et charnelle.

Voyez ! Voyez !

Des séismes au creux des mains

des volcans sur les lèvres

de la terre dans la gorge

des cailloux dans la bouche

des crocs dans l’os

et des coeurs dans les coeurs

du sang dans le sang

des veines dans les creux et les pactes

et tout ce qui doit battre les artères

et tout ce qui doit battre les chemins.

Les chemins en écho

les chemins.

Écoutez !

Écoutez dans la nuit close aux mains jointes

leurs prières étirées se mêler aux loups la gueule aux étoiles.

Écoutez ! Écoutez !

Leurs murmures disent de nos poussières

l’aveuglement à la lumière, la lente répétition de nos chutes

le jour perdu ou le sublime consentement.

Oui

le sublime consentement.

Celui-là aux paupières de dune

qui lentement respire la profonde géométrie du monde

traversent les lignes blondes des vols matinaux

la candeur verticale des peupliers.

Ils racontent, les chemins

ils racontent en la veillant

l’histoire de nos pas

l’écho d’un commencement.

Et quand je vous le dis

le ciel scelle ses éternités et le sel me vient à la bouche.

.../...

Traversant l’iris vibrant

la vision céleste éblouit un chemin d’éternité dessiné par autant de papillons

que de jours et de nuits dans nos vies mêlées.

Là-bas

dans l’incommensurable

tous semblaient répondre à l’appel d’un Dieu.

Dans les chemins des papillons, se cachent d’autres chemins de papillons.

L’image de ces papillons, quand on y entre, c’est encore un monde dans un

monde.

.../...

J’ai traversé vos mémoires

et de vos corps

à pleines mains

j’ai remonté la moelle.

Je vous ai pris, enlacés, étouffés, pressés et tenus, relâchés et aimés,

puis morts vous ai déposés sur des forêts d’écume.

Vous m’avez prise, empoignée, serrée, lâchée at aimée

puis morte, qui donc a déposé mon corps ?

J’ai léché les sédiments et j’ai léché le feu et j’ai léché la pierre qui m’a

lynchée.

Je marche et pas à pas répète le lointain.

Mes pieds millénaires laissent sur le sol neuf l’empreinte de l’origine

et le mystère demeurera l’offrande de l’éternel.

Plus je vais lent, plus je vais loin.

Au seuil des femmes, le monde se répand

L’incarnation prolonge l’histoire.

Et nous accouchons de larmes sacrées sur ce seuil unique.

La beauté sur les mers.

La grâce.

La grâce est un don. La perte, un lamento. L’oubli, un exil.

Le renoncement est le seuil de l’amour.

Je my agenouille et m’y recueille.

.../...

J’ai entendu l’appel de derrière les forêts, les pleurs de derrière les murs

les gémissements qui font les vagues, les plaintes de dessous terre,

les cris dans les chants millénaires.

Du lointain, j’ai entendu la pré-histoire.

De l’origine, j’ai entendu craquer l’articulation des vies qui portent le monde là.

Au bout des mers

sur la rive

Elle vient là l’histoire.

En se retirant, elle vous emportera peut-être toucherez-vous du bout du bout

du bout des doigts

à son long temps

à son long souffle

lointain et salé

à cette ligne retrouvée

aux vies mêlées que l’on croyait oubliées battant la marée.

Moi, épuisée, je fermai les yeux et j’oubliai tout.

.../...

LIGNE

Je sors d’une gare

une bouche de métro

C’est le matin d’un jour

un jour qui crache du soleil

un jour blanc

Dans la ville

contre ses parois chaudes et rondes

des hommes crient la confusion de leur jeunesse

le désordre de leur bouche

l’extrémité tendue de leur vie

des cris raides et tranchants

à faire trembler la peau

à se mordre la langue

à étouffer le soupir

A peur

A peur

.../...

Depuis toujours, elles vont

depuis toujours.

Pas à pas.

Depuis la source jusqu’à l’éternité, elles vont.

Du chemin, elles ont l’intuition.

Complices de la lune, elles donnent aux marées leur amplitude.

Dans le berceau des jours et des nuits

l’aube et le crépuscule se glissent sous leurs paupières mi closes

pour offrir l’illimité des rêves

le délice des songes

la vision obscure d’un pressentiment ou l’annonce heureuse d’un amant

présent mais encore loin dans l’espoir.

Pas à pas, je les suis, je suis sans savoir, les accompagne dans cette direction

je les cette direction, suis-je... les accompagne

sans savoir

un sens unique

un sens commun

une balise

.../...

L’une d’elles regarde le sol sans voir le bitume.

Elle dit les mots simples de l’histoire.

Voix raconte la soeur, la mère, la cousine, la maladie, l’attente, la jeunesse, ce

qui fait mal, la cuisine, l’absence des hommes, l’interdit, le frémissement et

l’émoi, l’enfance, les enfants

les enfants

Voix raconte

et me berce en berceau de mer en larmes de ventre en pluies de lune

et balance au sein d’une âme liquide de pleurs en peurs sans appui

de petites paroles à glisser dans la bouche

de comptines pour toujours

du mouvant dans le ventre en trouble de coeur

et me berce en coquille de voix

en voix d’émaux

coraux d’émois

corps émoi

CENTRE

PÉRIPHÉRIQUE

SPHÉRIQUE

ombilic

Je vais, me hâte, dépêche, cours presque
la femme est derrière
déjà
le temps s’est enroulé, il a étouffé ses minutes

Bobines Kronos

Pourtant la rencontre est présente jusqu’à s’écrire ici
et au-delà

.../...

Devant moi dans le microscopique des chocs, l’impact des petites pluies,

l’égarement des interludes d’entre les secondes

un mât

dont la rectitude fait la sève

et qu’une lourde voile blanche travestit.

Des épaules aigres

une nuque hâve

des mains en peau de bois

des doigts en bout de bâtons

saillent, angulent.

.../...

Il pose ses mains sur mon désir

les enfouit dans les plis

m’apprend les dix orifices et les deux lacrymaux

que je célèbre dans l’abandon

Ecume

Il ouvre ma bouche

durcit et grandit dans l’épaisseur de mes cris

Vagues

Les petites chairs de l’enfant se sont perdues dans les lagunes de la femme

Lagunes

Dans l’humidité de l’intime

ma peau est pulpe de caresse

Ondes - Lunes

.../...

l’homme infernal a ôté ses yeux

ôté ses oreilles

il m’enfonce dans le sol

Pour que je ne respire plus la terre il coud mon sexe

mon oreille fait mal

force appuie pousse

la douleur mêle crâne-cou-gorge

le coeur en écho jusqu’à toutes mes extrémités de vie

Se déchire un choeur centrifuge qui sans cesse échoue et dans mon ventre et

dans ma bouche

.../...