
Mater est une commande du Théâtre des 3 Raisins à Annabelle Playe elle a été créée le 28 Mai 2013 à Clermont-Ferrand.
Il s’agit d’un monologue.
Mater paraît en juillet 2014, chez ALNA EDITEUR / Théâtre
EXTRAITS
I. LA FEMME PRISON
Stabat Mater
.../...
3.
la prison commence ici
ses murs sont mes os
le soir s’y abat
dans ses silences calcium
un tambour qui roule
la nuit le jour
des flammes méchantes du feu sur l’eau
rouleaux d’étain
restreindre le mouvement
si je bouge
je me fends
je suis levée le jour
je suis levée la nuit
7.
le long du jour je plie des pochettes - travail pénitentiaire - des pochettes - dedans glisse et répète le geste lisse et plie les pochettes dans mes doigts - garçon - Jour – le geste répète glisse le carton se fait lange et la petite peau du dedans s’efface dans le repli innocent
pour m’abrutir encore j’ai plié des pochettes - des pochettes – 1000 pochettes – 2 pochettes – 6 pochettes – 20 - 99 – 1000 pochettes – 1000 abruties – 0,008 centimes l’unité ou rien ou pareil au même peu importe ça fait pas cher l’abrutie
dans les pochettes j’y ai mis l’Enfant gémit
comme au berceau jamais connu
dans d’autres je glisse la haine comme dans le cri
dans la poussette grandit l’Enfant sans lalalie
ma silencieuse berceuse
8.
j’ai séparé son Nom du mien
MATRICULE - ECROU - COGNE SEC -
j’ai écarté les syllabes
braillé et couru dans ma bouche petite héroïne orpheline
héros sans noms
JOUR
un cri d’orfraie
j’ai gueulé pour le vivre
couru essoufflée sans fin à lui rompue de plus belle
encore élancée
depuis l’antichambre des peines encore dans ma course-cœur un peu
d’amour à boire dans ses yeux l’Enfant
dans ses yeux mes yeux et la totalité du bleu
mon enfant
noyé ainsi Le Sacrifié
dessous la larme
le monde ému de celui qui la verse sans la coque des bateaux pour se rappeler à la surface ni le chant pigmenté des mâts aux vents insolents des mères
rageuses
à fleur d’eau
le baptême d’un épiderme
personne ne met plus d’humanité dans mon nom c’est pourquoi je lai oublié
ce jour-ci elle
aujourd’hui c’est elle
Plaidoyer
13.
des hommes et des femmes corbeaux ont volé au palais je voyais bien dans leurs yeux la tristesse de leurs plumes quand ils ont dit « coupable »
m’ont soutenue quand leurs robes m’ont emportée
l’aile s’est faite bras qui m’a mise HORS MOI - menottée empoignée – ainsi les JAMBES-PAS ont commencé et les CORPS-A-CLES
le cliquetis blanc des couloirs interminables
le râle des barreaux coulissants - poussée tirée repoussée –
alors on ne s’appartient plus
alors on devient cette excroissance
maligne et vénéneuse que l’on s’empresse de ranger à l’autre bout des vies rongeuse scélérate
érosive la malformation fascinante ou l’écartement du monstre une maladie presque
l’aile s’est faite bras qui m’a tenue HORS LE TEMPS
depuis HORS LE TEMPS
je traverse un palais précipité là un palais où l’écho ramasse un à un les pas de bois
les voix en rafales lentes soufflent les voix régurgitées des couloirs luttant encore pour reprendre forme - condamnée - force
damner des pas d’écho CONTRE défilent après moi - damner les pas des parquets resserrant leurs lattes sur des chagrins d’écrou
ces interstices où naufragent en poussières ces peines irréductibles repliées dans des secrets où personne ne va jamais
poussières cloitrées des coins de sirènes aux cours de camions – HURLANTES – d’hommes de bottes aux bras les voix rudes qui me tiennent – maints corps à corps des doigts qui ne sont pas des doigts - des serpents –
avec à l’ultime phalange le regard de la gorgone
pétrifiant et malséant
Melancholia, la Secrète
20.
la comptine de la prisonnière
1. 2. 3
tu es au trou
4. 5. 6
tes murs sont lisses
7. 8. 9 m2
pour la rate en cage
tremper l’âme dans l’huile tremper l’âme dans l’eau
ça fera un beau cachot
je cache au cachot l’escargot salaud et CRIE ECROU
dans mon ventre Jour fait un tour de manège un deuxième un troisième et ainsi de suite au galop vers un soleil nouveau les carrousels sont éternels
22.
la photo dans les journaux
ce n’est pas moi celle-là
je cherche à leur dire
23.
j’ai dans le ventre une belette
qui tourne et s’enroule
sa queue caresse le monde de l’intérieur épais
si elle sort la tête
elle voit les fontaines agglutinées d’enfants ridés
car elle ne sait pas la belette qu’un jour les enfants ne sont plus que
d’autres viennent et les remplacent
que les enfants font des enfants de leur ventre chaud et gourmand
dans son monde à elle
là tout au creux de mon ventre
il y a les forêts magnétiques scellant des clairières farouches palpitantes
d’histoires à éblouir
la belette
elle
va sans chemin
pas à pas avec les arbres sorciers recueillir les plaines pour le repos de
l’horizon
II. DE PROFUNDIS
Croix
27.
de la maison d’arrêt à la Maison-Dieu à petits pas s’en vont
de Dieu à la prison
maisons tronquées
reviennent trottinant
les sœurs avec au bout du bec un peu de charité
la pie l’aigrette
la bécasse et la chevêche la fauvette
la grive
la buse
quand elles arrivent toutes
c’est un cortège dans les couloirs
une volée austère de cotonnade pure aux gazouillis liquides ridicules presque des langues drôles qu’on dirait des magiciennes
ou des sorcières avec des secrets de sabbat dans leurs petits morceaux de bois appelés croix dis CROA ad lib croasse le corbeau dit crois CROA ad lib, crescendo sur l’ensemble des croassements un chant de CROIX une forêt de bois BOIS DE BOIS – il est bien noir et luisant le corbeau le soleil l’a trempé d’or dans son vol prestigieux increpuit corvus crié CROIS A CRIE LE CORBEAU CROA dans toutes les cages engorgées de détenues
et la corneille celle-là toujours un peu de côté
avance boiteuse
dans les couloirs les voici toutes prêtes à rejoindre nos cages - ici chaque recluse aura son oiselle -
elles s’y enfouissent – ailes lourdes d’étoffes aux relents de myrrhe les sœurs
on dirait à ce moment qu’elles se changent en mères
définitives
assoiffées
puissantes elles veulent de nous l’enfant veulent leurs seins gorgés de lait
c’est le pouvoir du poupon de gâter le sein de sa mère et le sang blanchi se fait nourricier à l’autel du désir : le téton dévoilé - quand elles le peuvent elles nous donnent Dieu le Père en échange prêtes à commercer païennes leur encens contre un peu de lait brouillant l’alliance avec le divin elles s’envolent dans nos corps féconds où la lune fait gicler sa voie lactée
28.
il y a en ma prison un peuple d’étranges
on ne sait si la mauvaise graine y repousse ou y est repoussée
marron le fruit desséché
dans le sol dur-sale ses pépins répandus veulent germer
une femme-grenade ouverte
lèvres repliées toutes serrées sur ses rives-peaux torsadées
femme-grenade momie n’a plus le souffle de sa couleur ni la lumière de sa saveur
une femme-face sèche dans l’angle mort où je ne peux regarder ni ne veux voir
je découvre ma compagne de cellule ses mots cariés partout déchets
a déféqué sec ces pépins sphincter
avec elle cette odeur de froid crasse obscur
glisse pire quand elle ouvre la bouche pire sa bouche d’où vient la nuit-elle va avant moi pourrir de ce côté là du mur la femme-grenade à moins qu’elle ne soit déjà l’une de mes extrémités
Mater a été créé le 28 mai 2013 au Théâtre des Trois Coquins à Clermont-Ferrand (Puy de Dôme)
dans la distribution suivante :
Mise en scène et interprétation : Isabelle Krauss
Scénographie et costume : Pomme Biache
Création lumière : Catherine Reverseau
Univers sonore : Pierre-Marie Trilloux
Production : Cie Actuel Théâtre