LE PROLOGUE
Je sors d’une terre, d’une étreinte démente, minérale et charnelle.
Voyez ! Voyez !
Des séismes au creux des mains
des volcans sur les lèvres
de la terre dans la gorge
des cailloux dans la bouche
des crocs dans l’os
et des coeurs dans les coeurs
du sang dans le sang
des veines dans les creux et les pactes
et tout ce qui doit battre les artères
et tout ce qui doit battre les chemins.
Les chemins en écho
les chemins.
Écoutez !
Écoutez dans la nuit close aux mains jointes
leurs prières étirées se mêler aux loups la gueule aux étoiles.
Écoutez ! Écoutez !
Leurs murmures disent de nos poussières
l’aveuglement à la lumière, la lente répétition de nos chutes
le jour perdu ou le sublime consentement.
Oui
le sublime consentement.
Celui-là aux paupières de dune
qui lentement respire la profonde géométrie du monde
traversent les lignes blondes des vols matinaux
la candeur verticale des peupliers.
Ils racontent, les chemins
ils racontent en la veillant
l’histoire de nos pas
l’écho d’un commencement.
Et quand je vous le dis
le ciel scelle ses éternités et le sel me vient à la bouche.
.../...
Traversant l’iris vibrant
la vision céleste éblouit un chemin d’éternité dessiné par autant de papillons
que de jours et de nuits dans nos vies mêlées.
Là-bas
dans l’incommensurable
tous semblaient répondre à l’appel d’un Dieu.
Dans les chemins des papillons, se cachent d’autres chemins de papillons.
L’image de ces papillons, quand on y entre, c’est encore un monde dans un
monde.
.../...
J’ai traversé vos mémoires
et de vos corps
à pleines mains
j’ai remonté la moelle.
Je vous ai pris, enlacés, étouffés, pressés et tenus, relâchés et aimés,
puis morts vous ai déposés sur des forêts d’écume.
Vous m’avez prise, empoignée, serrée, lâchée at aimée
puis morte, qui donc a déposé mon corps ?
J’ai léché les sédiments et j’ai léché le feu et j’ai léché la pierre qui m’a
lynchée.
Je marche et pas à pas répète le lointain.
Mes pieds millénaires laissent sur le sol neuf l’empreinte de l’origine
et le mystère demeurera l’offrande de l’éternel.
Plus je vais lent, plus je vais loin.
Au seuil des femmes, le monde se répand
L’incarnation prolonge l’histoire.
Et nous accouchons de larmes sacrées sur ce seuil unique.
La beauté sur les mers.
La grâce.
La grâce est un don. La perte, un lamento. L’oubli, un exil.
Le renoncement est le seuil de l’amour.
Je my agenouille et m’y recueille.
.../...
J’ai entendu l’appel de derrière les forêts, les pleurs de derrière les murs
les gémissements qui font les vagues, les plaintes de dessous terre,
les cris dans les chants millénaires.
Du lointain, j’ai entendu la pré-histoire.
De l’origine, j’ai entendu craquer l’articulation des vies qui portent le monde là.
Au bout des mers
sur la rive
Elle vient là l’histoire.
En se retirant, elle vous emportera peut-être toucherez-vous du bout du bout
du bout des doigts
à son long temps
à son long souffle
lointain et salé
à cette ligne retrouvée
aux vies mêlées que l’on croyait oubliées battant la marée.
Moi, épuisée, je fermai les yeux et j’oubliai tout.
.../...
LIGNE
Je sors d’une gare
une bouche de métro
C’est le matin d’un jour
un jour qui crache du soleil
un jour blanc
Dans la ville
contre ses parois chaudes et rondes
des hommes crient la confusion de leur jeunesse
le désordre de leur bouche
l’extrémité tendue de leur vie
des cris raides et tranchants
à faire trembler la peau
à se mordre la langue
à étouffer le soupir
A peur
A peur
.../...
Depuis toujours, elles vont
depuis toujours.
Pas à pas.
Depuis la source jusqu’à l’éternité, elles vont.
Du chemin, elles ont l’intuition.
Complices de la lune, elles donnent aux marées leur amplitude.
Dans le berceau des jours et des nuits
l’aube et le crépuscule se glissent sous leurs paupières mi closes
pour offrir l’illimité des rêves
le délice des songes
la vision obscure d’un pressentiment ou l’annonce heureuse d’un amant
présent mais encore loin dans l’espoir.
Pas à pas, je les suis, je suis sans savoir, les accompagne dans cette direction
je les cette direction, suis-je... les accompagne
sans savoir
un sens unique
un sens commun
une balise
.../...
L’une d’elles regarde le sol sans voir le bitume.
Elle dit les mots simples de l’histoire.
Voix raconte la soeur, la mère, la cousine, la maladie, l’attente, la jeunesse, ce
qui fait mal, la cuisine, l’absence des hommes, l’interdit, le frémissement et
l’émoi, l’enfance, les enfants
les enfants
Voix raconte
et me berce en berceau de mer en larmes de ventre en pluies de lune
et balance au sein d’une âme liquide de pleurs en peurs sans appui
de petites paroles à glisser dans la bouche
de comptines pour toujours
du mouvant dans le ventre en trouble de coeur
et me berce en coquille de voix
en voix d’émaux
coraux d’émois
corps émoi
CENTRE
PÉRIPHÉRIQUE
SPHÉRIQUE
ombilic
Je vais, me hâte, dépêche, cours presque
la femme est derrière
déjà
le temps s’est enroulé, il a étouffé ses minutes
Bobines Kronos
Pourtant la rencontre est présente jusqu’à s’écrire ici
et au-delà
.../...
Devant moi dans le microscopique des chocs, l’impact des petites pluies,
l’égarement des interludes d’entre les secondes
un mât
dont la rectitude fait la sève
et qu’une lourde voile blanche travestit.
Des épaules aigres
une nuque hâve
des mains en peau de bois
des doigts en bout de bâtons
saillent, angulent.
.../...
Il pose ses mains sur mon désir
les enfouit dans les plis
m’apprend les dix orifices et les deux lacrymaux
que je célèbre dans l’abandon
Ecume
Il ouvre ma bouche
durcit et grandit dans l’épaisseur de mes cris
Vagues
Les petites chairs de l’enfant se sont perdues dans les lagunes de la femme
Lagunes
Dans l’humidité de l’intime
ma peau est pulpe de caresse
Ondes - Lunes
.../...
l’homme infernal a ôté ses yeux
ôté ses oreilles
il m’enfonce dans le sol
Pour que je ne respire plus la terre il coud mon sexe
mon oreille fait mal
force appuie pousse
la douleur mêle crâne-cou-gorge
le coeur en écho jusqu’à toutes mes extrémités de vie
Se déchire un choeur centrifuge qui sans cesse échoue et dans mon ventre et
dans ma bouche
.../...